L E  T O U C H E R  D A N S  L A  R E A L I T E  V I R T U E L L E / A U G M E N T E E

Quels choix pour un "design haptique" et son expérience utilisateur?

         L’une des plus grandes promesses et atouts des représentations en réalité virtuelle/augmentée est l’immersion. Pourtant, celle-ci n’a souvent pour piliers que l’adresse à deux sens humains : la vue et l’ouïe. En raison des difficultés techniques et du coût élevé de mise en place, le toucher, l’odorat, et le goût, prennent plus rarement part dans les dispositifs immersifs et interactifs que l’incontournable vision, qui bénéficie d’une place privilégiée dans notre civilisation.

Cet état des lieux oriente imperceptiblement la nature et le contenu des expériences. La vue étant rattachée par sa nature à l’esprit, à l’intellect et à l’immatériel ; sa prépondérance, (au même titre que l’absence de sollicitation de sens considérés plus « primitifs » comme le toucher) limite l’expérience dans sa capacité immersive, mais aussi dans la nature du message qu’il est possible de transmettre. Elle apporte également des problématiques d’expérience utilisateur importantes (nausées, vertiges, problèmes d’ancrage et de vraisemblance).  

« Paradoxalement, dans notre quête pour l’interactivité, nous avons négligé le seul sens qui, par nature, est interactif : le toucher. Nous ne pouvons émouvoir, ou toucher quelqu’un, en faisant l’économie du contact physique. »

La particularité du toucher est qu’il est « simultanément et de manière indissociable une voie motrice et perceptive ». Nous collectons des informations et nous agissons sur la matière par le geste du toucher. Cela induit d’emblée une experience de l’interactivité, contrairement aux quatre autres sens qui sont uniquement perceptifs et ne permettent pas d’agir physiquement sur de la matière.  

Le toucher est un élément fondamental dans l’immersion, dans la mesure où il d’agit du sens le plus apte à nous communiquer et représenter la matérialité de notre propre corps et du monde qui nous entoure. Palper, toucher, prendre connaissance de la matérialité d’un objet par notre propre corps est la meilleure manière de nous convaincre de sa réalité  dans notre système de pensée cartésien. 

Par l’utilisation de dispositifs haptiques efficaces dans la réalité virtuelle, nous devrions pouvoir réguler les nausées, le vertige, et cette sensation aliénante d’avoir enfilé un univers immatériel et volage en enfilant un casque. En touchant l’objet que l’on voit, nous pourrions sentir qu’il est bien présent et avoir un meilleur ancrage dans l’univers proposé. 

L’émergence de nouveaux supports de représentation, qu’ils appartiennent au domaine du jeu vidéo, de l’expérience artistique, ou du serious game pose en effet un problème d’adhérence à cette forme de réalité qui exclut le corps comme organe du toucher de l’expérience. En partant du principe que la recherche technologique avance dans le sens d’une immersion et interactivité accrues ; nous pourrions envisager le développement des dispositifs haptiques comme le début d’une amélioration notable de l’immersion et de l’interactivité, mais aussi de l’invention de nouvelles perceptions tactiles que le monde matériel ne nous permet pas encore d’expérimenter.  

Quels sont les dispositifs existants qui sollicitent le toucher, et comment peuvent-ils être intégrés dans les expériences visuelles existantes de manière à proposer une expérience complète? Comment le geste (en tant que synonyme du son, de l’image, ou encore du goût et de l’odeur) peut-il être capté, mémorisé et représenté dans la réalité virtuelle? Peut-on donner a percevoir des objets gestuels qui n’ont jamais existé? Comment créer de la matière palpable et pourtant invisible et/ou mouvante? Quel type de design haptique s’adapterait au mieux au champ de la réalité virtuelle afin d’approfondir le résultat d’une l’expérience visuelle donnée? Que peut-on proposer en termes d’expérience haptique détachée de la reproduction d’expériences du réel avec les moyens technologiques actuels?

Afin d’éclairer ces questions, j’exposerais par quelques exemples l’état des lieux technologique des dispositifs haptiques dans la réalité virtuelle et augmentée aujourd’hui. Plus particulièrement, je m’intéresserais aux possibilités que cela ouvre dans le champ du design haptique, de l’expérience utilisateur, et de la sensation/émotion dans l’expérience de la réalité virtuelle en général. 

Les premières recherches et avancées concernant l’expérience tactile interactive, apparaissent avec l’approfondissement de l’UX sur les appareils électroniques, notamment le design des boutons, les vibrations sur les téléphones portables, puis l’écran tactile sur les smartphones. 

Parallèlement à ces avancées, a partir des années 2000, cette même préoccupation d’intégrer le toucher à une expérience utilisateur se subdivise en deux directions de recherche. La première concerne le développement des dispositifs externes pour simuler des sensations tactiles, comme les sièges vibrants des cinémas 4D/5D, les vêtements connectés (haptic suits, haptic gloves ), ou encore les divers générateurs de vent, pluie, chaleur affiliés a des expériences visuelles a destination du jeu vidéo. Ces dispositifs ont en commun d’essayer littéralement de toucher l’utilisateur par une application externe, afin de simuler des sensations haptiques inspirés de la réalité.

L’autre branche de la recherche haptique, s’intéresse depuis le début des années 2010 à créer des dispositifs haptiques entiers. J’entends par la la fabrication de plateaux/écrans destinées aux mains, générant des stimulis haptiques permettant au cerveau de détecter des formes matérielles qui ne sont pourtant pas de la matière physique. L’utilisateur peut grâce a ces dispositifs, se représenter une forme, une taille, une orientation, un volume, mais encore l’état d’une surface, sa plasticité, sa pression, sa température, sa dureté/mollesse, et peut-être même son poids à la manière d’un aveugle et sans la nécessité de présence de l’objet matériel/texture simulé.  

Parmi les technologies utilisées pour générer des stimulis haptiques dans les dispositifs entiers, nous relevons principalement des capteurs infrarouges cumulés à des vibrations ultrasoniques (l’écran tactile haptique de Fujitsu et Haptoclone ), et des générateurs de pulsions électriques (technologie Tixel, utilisée notamment dans les nouveaux produits Apple ). L’avantage de ces dispositifs, est qu’ils n’encombrent pas l’utilisateur et l’expérience d’une machinerie, d’une combinaison, ou de gants qui simulerait des stimulis haptiques sur son corps de façon externe, mais créent une expérience haptique entière - plus légère et intuitive. L’idée n’est pas ici de toucher l’utilisateur depuis l’extérieur, avec des stimulis précis qui lui enlèvent la possibilité d’agir sur la matière en retour, mais bien de créer une matière virtuelle en 3D qu’il serait libre d’approcher de la manière qu’il veut, et sur laquelle il pourra éventuellement agir. 

Dans la vie quotidienne, un stimuli puissant sur le corps issu de l’extérieur n’existe qu’en cas de danger ou de violence. En revanche, la grande majorité de nos expériences haptiques proviennent de surfaces et objets sur lesquels nous avons un contrôle, une capacité d’action et d’interaction. C’est la raison pour laquelle il est important - pour créer une expérience intuitive - de contourner la réticence naturelle de l’homme à être habillé, voir possédé par une machine qui le sature de stimulis haptiques, et à pousser aller davantage vers une liberté d’interaction avec l’objet générateur de stimulis haptiques.

Pour aller plus loin dans ces hypothèses, il faudrait élaborer une première expérience en laboratoire d’UX, afin évaluer si le plaisir et la sollicitation de l’utilisateur est accru/diminué lorsque les stimulis haptiques sont imposés par l’extérieur, ou lorsqu’ils sont issus d’un objet virtuel en 3D palpable. Nous pourrions ainsi savoir dans quelle mesure, l’aspect interactif du sens du toucher est réellement important dans l’expérience de ces dispositifs. 

Dans la mesure où les technologies comme Haptaclone permettent de créer des hologrammes haptiques, il serait intéressant d’explorer la potentialité d’utiliser ce dispositif pour créer des matières ou des états de matières imaginaires. Comment pourrait-on jouer avec les vibrations ultrasoniques afin de simuler des touchers/gestes nouveaux et inconnus ? Quels mélanges seraient possibles pour s’écarter d’une simulation du réel? Avec quels paramètres pourrait-on retranscrire des sensations de visuels en toucher et comment pourrait-on travailler un motion design haptique? 

 


  • BORILLO, Mario / SAUVAGEOT, Anne, Les cinq sens de la création - art, technologie, sensorialité, coll. Milieux CHAMP VALLON, 1998
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